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libres opinions pour mémoire
31 octobre 2016

PHOBA MVIKA J. Docteur ès Lettres d’Etat

PHOBA MVIKA J.

Docteur ès Lettres d’Etat

PROFESSEUR ORDINAIRE

 

LIBRES OPINIONS POUR MEMOIRE 

XVII 

LA VERSION CONGOLAISE DU DECALOGUE AU GOUT DU JOUR EST-ELLE COMPATIBLE AVEC LE DESTIN EXCEPTIONNEL DU CONGO ?

UNIVERSITE DE KINSHASA 

JUILLET 2002

 

Au lendemain du mondial Corée-Japon 2002, les prétentions du Congo pour le mondial allemand de 2006 ont été affirmées ça et là dans les tribunes consacrées aux performances de notre 11 national.

A travers certaines déclarations nous avons pu lire, s’agissant de la participation supposée déjà acquise du Congo au prochain mondial, LE POURQUOI PAS faire mieux que le Sénégal.

Surprenante nous a paru une telle prétention, quand on connaît, d’une part, les exigences de sérieux d’une participation fructueuse à de telles compétitions et, d’autres part, la légendaire insouciance qui nous caractérise.

Surprenante aussi nous a paru l’imputation des déboires de notre équipe nationale de football à nos dirigeants sportifs, qui seraient les seuls au monde à ne penser qu’à leurs intérêts personnels.

Or, rien n’est moins sûr. Les hommes étant les mêmes partout, il n’y a pas de pays, où l’on obéirait naturellement à l’idéal moral du Décalogue biblique.

L’utilitarisme, lecture moderne de cet idéal, semble l’avoir remplacé d’ailleurs, dans la pratique, par un Décalogue adapté à l’intérêt personnel, à travers ce qu’Arthur Hugh Clough (1819-1861) a appelé the latest Decalogue[1].

Presque partout aujourd’hui c’est à ce Décalogue que l’on se réfère. Si ailleurs, les résultats sont au rendez-vous, contrairement à chez nous, ce que chez nous on navigue à vue dans des eaux sombres, qui rendent impossibles toute vision et toute visibilité[2].

Compte tenu du rôle, que les Congolais sont appelés à jouer demain dans le monde, eu égard aux richesses fabuleuses de leur pays, il faut impérativement mettre fin à cette situation, qui fait du Congo un trou noir parfait, à bien des points de vue.

Il importe, tout de même, de mettre au grand jour la version congolaise du Décalogue au goût du jour. C’est dans l’intérêt de tous de rendre visibles les règles du comportement des Congolais.

On peut déjà dire, au premier regard des comportements observés, que les Congolais donnent l’impression de vouloir se passer de l’idée même de règle contraignante de conduite.

C’est en l’explicitant et en l’exposant au grand jour que nous amènerons les Congolais à réfléchir sur ses conséquences et à l’abandonner, leur pays ayant destin exceptionnel pour l’avenir de la planète[3], vu ses richesses fabuleuses.

C’est en comparaison avec le Décalogue de Moïse et la version occidentale du Décalogue au goût du jour que nous la dénonçons.

I. LE DECALOGUE DE MOISE (Dt.5, 6-21, Ex.20, 2-17)

« … Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi[4] ;

« Tu ne feras aucune image sculptée de rien…[5] ;

« Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, ni ne les serviras …[6] ;

« Tu ne prononceras pas le nom de Yahvé, ton Dieu à faux … [7] ;  

« Observe le jour du Sabbat pour le sanctifier…[8] ;

« Honore ton père et ta mère …[9] ;

« Tu ne tueras pas ;

« Tu ne commettras pas d’adultère ;

« Tu ne voleras pas ;

« Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain ;

« Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain … »[10] ;

 

II. LE DECALOGUE AU GOUT DU JOUR D’ARTHUR HUGH CLOUGH[11]

1.  « Tu n’auras qu’un seul Dieu ; qui pourrait se permettre de s’en payer deux ?

2. « Tu ne te prosterneras pas devant une image gravée, sauf les billets de banque ;

3. « Ne jure pas ; car, pour ta malédiction, ton ennemi n’est pas le pire ;

4. « Aller à l’Eglise le dimanche servira à te garder l’amitié du monde ;

5. « Honore tes parents, c’est-à-dire tous ceux dont tu peux attendre de l’avancement ;

6. « Tu ne tueras pas ; mais tu n’as pas besoin de t’efforcer obligeamment de maintenir en vie ;

7. « Ne commets pas l’adultère, on n’en tire rarement d’avantage ;

8. « Tu ne voleras pas, c’est un acte vain, quand il est lucratif de duper ; 9.« Ne porte pas de faux témoignage, laisse le mensonge voler de ses propres ailes ;

10. « Tu ne convoiteras pas, mais la tradition approuve toutes les formes de compétition ».

Cette version du Décalogue, qui reflète le comportement observé dans la société moderne, est, certes, une caricature de l’idéal moral et religieux du Décalogue judéo-chrétien, mais elle a le mérite d’imposer un code de conduite généralement respecté.

Comme il y a dans le comportement observé dans la société post-traditionnelle congolaise une absence flagrante de l’esprit des lois et de culture de la sanction, la version congolaise du Décalogue au goût du jour, ci-dessous, ressemble à invitation à l’indécence, à l’incivisme, bref, à l’irresponsabilité.

 

III. VERSION CONGOLAISE DU DECALOGUE AU GOUT DU JOUR

1. « Tu n’auras pas d’autres dieux que toi-même, de peur de te voir d’obéir à quelque loi ;

2. « Tu te prosterneras devant les dollars à grosse tête, dont tu raffoles. Car tu n’es pas moralement assez fort pour résister à leur attrait ;

3. « Tu ne jureras pas. Car tu n’es pas capable de respecter le moindre engagement, que tu prends ni la moindre promesse, que tu fais ;

4. « Tu iras à la messe le dimanche, pour faire comme tout le monde. Car tu ne crois en rien du tout ;

5. «N’honore pas tes parents. Car c’est démodé de respecter les vieux ;

6. « Tu ne tueras pas. Car, suivant notre culture, répandre le sang humain rend fou. Mais ce serait trop te demander de tout tenter pour sauver une vie ;

7. « Agité(e) comme tu es, tu n’as que faire de la paix intérieure que procurent la fidélité conjugale et la discipline sexuelle ;

8.« Tu ne voleras pas. Mais ce serait trop te demander d’être honnête partout et toujours. Car la correction morale n’est pas ton point fort.

9.« Tu ne porteras pas de faux témoignage, sauf quand tu peux en tirer profit. Ce serait trop bête de ne pas profiter des belles opportunités de la vie pour des simples scrupules moraux.

10. « Tu convoiteras comme tu voudras des biens d’autrui. Car c’est ta seule façon de jouir des biens que ton incorrigible fainéantise t’interdit d’acquérir honorabement ».

Le moins que l’on puisse dire de ce Décalogue est que l’one voit pas bien à quel postulat de base il obéit et s’il en a un.

Pourtant, il en faut absolument. Les Congolais ne peuvent pas indéfiniment voguer sur l’océan du monde sans boussole, sans possibilité d’identifier ni le Nord, ni le Sud, ni l’Est, ni l’Ouest.

Car se contenter de profiter de  toutes les opportunités de la vie ne peut être le principe ultime de conduite.

Tôt ou tard chaque homme finit par poser la question du quoi après, déjà dans les limites restreintes de notre vie.

Certes, on pourra tenter de noyer le tout dans un tas de combinaisons confuses. Mais elle ressurgit toujours. Car elle est une question fondamentale. Aussi devons-nous savoir que nous ne ferons de ce pays un grand pays que si nous n’éludons pas les problèmes de fond, notamment celui de l’écart entre notre vision et celle du « Grec » Clough.

 Tant qu’on y est, rappelons qu’au-delà des positions personnelles, les hommes de notre temps règlent leurs comportements suivant deux postulats de base, qui rappellent la division antique du monde : le « grec » et le « barbare ».

Globalement, pour le « grec », l’homme est un être essentiellement terrestre. A ce titre, il n’a rien à attendre d’un hypothétique au-delà. Il doit se persuader qu’il a à se débrouiller seul, avec sa raison, comme seule arme.

Pour survivre et vaincre les peurs du sevrage d’avec Dieu, il doit se convaincre qu’il est à lui-même son propre dieu, qu’il peut satisfaire tous ses besoins, y compris les besoins religieux et ceux dit métaphysiques.

L’idée d’une version du Décalogue est un impératif de ce postulat. L’orgueil et l’ambition deviennent des valeurs salvatrices, tandis que l’humanité devient une infirmité mortelle. La discipline et la rationalité en toute chose sont un culte dû à la raison.

Globalement, pour le « barbare », l’homme est un être essentiellement fait pour l’au-delà. Dans son interprétation classique, ce postulat pose que le bonheur de l’homme dans l’au-delà est fonction du bonheur terrestre.

Par bonheur, il faut entendre non pas la jouissance des plaisirs faciles, mais l’accomplissement humain, que procure l’aisance matérielle honnêtement acquise par un travail productif et la fierté d’appartenir à un pays respecté.

Cela dit, la question reste entière de savoir auquel des deux postulats rattacher notre version du Décalogue. Ce qui est sûr au moins c’est qu’avec notre version, on ne peut pas bâtir une grande nation respectée au cœur de l’Afrique.

Là dedans, il y a d’avantage d’insouciance[12], d’inconscience, d’irresponsabilité, de refus d’ambition, d’esprit de jouissance qu’autre chose. Il y a aussi peut-être une petite dose de sécularité,  mais dans une grande religiosité diffuse.

Ceux qui se donnent la peine d’observer ce qui se passe chez nous reconnaitront que nous avons peut-être là l’une des sources du marasme congolais, dans lequel, hélas, les Congolais semblent se complaire, de génération en génération depuis l’indépendance.

En effet, aucun sursaut d’orgueil significatif ne parait poindre à l’horizon. Bien au contraire, tout le monde est à l’affût du dégagement de la moindre frange libre pour s’y vautrer avec volupté, comme ci de rien n’était.

Tout se passer comme si les Congolais remerciaient ainsi Dieu de leur avoir donné un pays, où l’on peut tout avoir sans autre obligation que le dolce farniente et la tricherie, aux antipodes de l’effort créateur, principe cardinal du progrès « grec ».

La prolifération des sectes religieuses et les prières-spectacles en continu semblent être l’offensive congolaise pour obtenir de Dieu de ne pas changer de politique vis-à-vis du Congo.

Les Congolais préfèrent continuer de vivre de la manne, qui tombe du ciel, et recevoir du poisson pêché par d’autres au lieu d’apprendre à pêcher eux-mêmes leur poisson.

Ils ne veulent rien savoir des techniques de pêche. D’ailleurs, les mers sont infestées par des requins de la concurrence internationale. Et les Congolais se gardent bien d’affronter un monde aussi cruel et sans Dieu de surcroit.

Nous assistons à une situation paradoxale, qui incite à voir les choses un plus en profondeur. Car théoriquement, une nouvelle version du Décalogue égale rupture avec Dieu. Or, ici il y a persistance de la confiance en Dieu.

S’agissant de cette confiance en Dieu, on pense généralement, en milieu « grec », qu’elle est la marque d’une démission humaine, d’une évasion dénotant une incapacité de maitriser les problèmes du développement, et qu’elle devrait être abandonnée par tous.

Le postulat « grec » devrait s’imposer à tous. Refuser de l’adopter c’est refuser le développement et son corollaire, le bonheur.

Or, rien n’est moins sûr. Même au Nord, le bonheur est la chose la point partagée[13].

Il faut bien noter, par ailleurs, que le refus supposé de l’athéisme du postulat « grec » ne s’accompagne pas, loin s’en faut, de conversions sincères pouvant induire une discipline conséquente de comportement moral.

Insouciants, les Congolais semblent ignorer le remords. Ils ne voient pas le péché, qu’ils commettent, en profitant de la vie comme elle vient. Ils ne voient pas non plus la nécessité de la discipline. Leur seule ambition est de vivre.

Absence d’ambition, insouciance, démission, irresponsabilité citoyennes, tels sont donc les concepts-clés de la trame comportementale congolaise, héritée de la Zaïrianisation du pays dans les années soixante-dix, laquelle s’est incrustée dans la moelle des os.

Il est bien évident que tout cela pose problème. Avec une constitution morale aussi laxiste, on ne peut pas aller très loin sur l’Océan du monde actuel et surtout y être accepté.

Sans le sens de l’interdit, il n’y a pas de vie morale. Sans vie morale, il n’y a pas de vie citoyenne. Sans vie citoyenne, pas de nation et sans nation, aucune performance nationale, quelle qu’elle soit, sportive ou non, n’est garantie.

Si nous voulons mieux faire que le Sénégal, commençons donc par abandonner petit à petit notre Décalogue laxiste, cause de notre marasme. Attachons-nous au vrai Décalogue, du reste, de même culture « barbare » que nous.

Fait à Kinshasa, le 10.07.2002



[1] Traduit : Le Décalogue au goût du jour, pour bien marquer la désaffection et l’abandon, par les modernes, du Décalogue judéo-chrétien. Fondement traditionnel de la civilisation occidentale. Voir BOURKE, V.J., Histoire de la morale, Traduit de l’Anglais par J. MIGNON, Paris, Cerf, 1970, p. 265.

[2] On se demande si le Congolais sait où il va et à quel code moral il obéit.

[3] Nous n’avons cessé de dire que l’avenir du monde n’est ni en Europe ni en Amérique ni en Asie, mais en Afrique et, au cœur de l’Afrique, il y a le Congo. Par ailleurs, à l’instar de Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), dans son Discours à la nation allemande (1807-1808), nous n’avons cessé d’inviter nos compatriotes à être à la hauteur d’un tel destin et à devenir « porteur de culture pour l’humanité toute entière ».

[4] « Je suis Yahvé ton Dieu, qui t’a fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude » Dt. 5,6.

[5] « … qui ressemble à ce qui est dans les cieux là-haut, ou sur la terre ici bas, ou dans les eaux au- dessous de la terre » Dt. 5,8b.

[6] « … car moi, Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants, les arrières petits-enfants, pour ceux qui me haïssent, mais qui fait grâce à des milliers, pour ceux qui aiment et gardent mes commandements ». Dt. 5, 9b-10.

[7] « … car Yahvé ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom en faux ». Dt. 5,12b.

[8] « … comme te l’a demandé Yahvé ton Dieu ». Dt.5, 12b.

[9] « … comme te l’a demandé ton Dieu, afin que se prolongent tes jours et que tu sois heureux sur la terre que Yahvé ton Dieu te donne ». Dt. 5, 16b.

[10] « … tu ne désireras ni sa maison, ni son champ, ni son serviteur ou sa servante, ni son bœuf ou son âne : rien de ce qui est à ton prochain ». Dt.5, 21b.

[11] BOURKE. V.J., o.c.,  p. 265.

[12] Les congolais se rappellent bien de l’euphorie provoquée par la médaille de bronze à la CAN 1998 au Burkina-Faso, obtenue sans préparation correspondante, et les AKUNA MATATA (pas de problèmes) répéter à longueur des journées à la télévision.

[13] L’offensive antimondialisation du modèle est d’ailleurs plus virulente au Nord qu’au Sud, où l’on a toujours été au bord de la route du bonheur réservé aux seuls hommes et femmes du Nord. Pour une critique de fond du système issu du postulat « grec », voir entre autres, THOREAU, H, D., WALDEN ou la vie dans les bois ; traduit de l’américain par Jeanne Chantal et Thierry Fournier, Ed. L’Age d’Homme, 1985. Henry David Thoreau était un philosophe et poète américain. Il naquit à Concord dans le Massachussetts en 1817 et y mourut dans la sérénité en 1862, après avoir publié WALDEN en 1854. Il prouva qu’il était possible d’agir autrement que dans l’unique dessein de gagner de l’argent. « Simplicité, simplicité, simplicité ! ». Voilà le message fondamental de ce philosophe en liberté. Peu de livres ont eu le privilège d’éveiller autant d’échos à notre époque que WALDEN. Il influença des nombreux courants de pensée en servant de guide et de texte de référence à ceux qui veulent vivre plus souverainement et renouer avec les valeurs fondamentales mises en mal par la civilisation de consommation à outrance. « Quand l’homme a obtenu l’indispensable ; c’est-à-dire la nourriture, l’abri, le combustible et le vêtement,  il y a une autre alternative que de se procurer les superfluités : c’est de s’aventurer dans sa vie présente. WALDEN nous convie à cette belle aventure » (couverture).

 

 

 

 

 

 

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